Cet article s'inscrit dans la préparation de notre initiative du 13 janvier 2011 : les objecteurs de croissance invitent Jean Gadrey.
Plusieurs membres du collectif Objecteurs de croissance 62 ont lu Adieu à la croissance de Jean Gadrey, avant sa venue à Lens. Nous leur avons posé quelques questions.
OC 62 : L., tu viens de terminer la lecture de Adieu à la croissance. Quelles sont tes premières réactions ?
L. : Je connaissais Jean Gadrey, dont je lis les billets dans Politis. J'avais acheté et survolé Les nouveaux indicateurs de richesse. Concernant Adieu à la croissance, c'est un livre passionnant, de bout en bout. Ensuite, il apporte de réelles connaissances (par exemple concernant l'économie des services). Enfin, c'est un livre très tonique, qui donne de vrais arguments, exploitables, et ouvre de vraies perspectives.
OC 62 : Quels sont les concepts qui t'ont paru importants ?
L. : Je dirais que Adieu à la croissance m'a permis de m'éclaircir sur un concept tel celui de baisse des gains de productivité. Les gains de productivité, qui ont été la plupart du temps obtenus au détriment des conditions sociales et environnementales sont en chute constante, depuis 50 ans. Cela signifie, selon moi, que même au regard de ses propres critères, le système économique, le capitalisme, ne fonctionne plus. Un autre point important, et qui a été une vraie découverte pour moi, c'est que, contrairement à ce que j'avais en tête, la société post-croissance, celle que nous avons à construire, celle que nous construisons d'ores et déjà dans les alternatives que nous mettons en place, cette société post-croissance donc, n'est pas synonyme de baisse de la quantité de travail. Tout au moins pour les prochaines décennies. Jean Gadrey est très convainquant à ce sujet.
OC 62 : Quelles thématiques concrètes aborde Adieu à la croissance ?
L. : C'est vrai que si le livre est très éclairant d'un point de vue théorique, il est également très pratico-pratique sur plein d'aspects concrets:
- Le domaine agricole est longuement abordé, à titre d'exemple, et de manière fort convaincante, à propos du travail que requiert cette activité, à propos de la pauvreté des exploitants, et autour de la question Comment nourrir l'humanité ?. Le coût de l'alimentation bio est exposé, avec des perspectives tout à fait positives. Les AMAP sont convoquées.
- Le livre propose un tableau fort intéressant, concernant la place de la plupart des secteurs économiques, dans une société post-croissance. C'est très concret.
- Jean Gadrey aborde ce que pourrait être un commerce de proximité, différent du petit commerce à l'ancienne.
- Un encadré évoque l'association Virage Énergie. C'est l'ami Olivier qui va être content !
- Dans le domaine de l'éducation, de pertinentes interrogations sur les finalités du système scolaire, la course aux diplômes, la lutte des places.
- Mêmes interrogations concernant la santé et la place de la médecine : curative ? préventive ?
OC 62 : Tu es objecteur de croissance, membre du collectif Objecteurs de croissance 62. Comment réagis-tu aux réserves de Jean Gadrey concernant la décroissance ?
L. : Très franchement, j'aimerais bien qu'il y ait un maximum de gens qui aient le même type de réserves que Jean Gadrey, vis à vis de nous ! Jean Gadrey est objectivement un ami, et qui plus est un ami qui nous donne des armes, théoriques et pratiques, pour sortir de la société de croissance. Ses réserves portent sur le terme même de décroissance, pour plusieurs raisons, liées notamment à la connotation négative de ce terme. Soit, on peut en discuter, et Jean Gadrey accepte cette discussion. Ceci étant, pour ce qui me concerne, je préfère engranger ce qu'il nous apporte plutôt que de pointer ces réserves. J'ajouterais que le livre regorge de clins d'oeil sur des réalités que les objecteurs de croissance connaissent bien, par exemple la société post-croissance synonyme d'un retour au moyen âge. La réponse du livre à ce sujet est bien évidemment sans ambiguïté. J'ai également noté une autre passerelle avec nos thématiques : Jean Gadrey évoque l'économie du Bien vivre, ce qui rejoint le sous-titre du livre Bien vivre dans un monde solidaire. C'est un aspect qui est évoqué au travers du Bem viver des peuples de l'amazonie brésilienne. Comment ne pas voir le lien direct avec, par exemple, le concept de Vie bonne ou Buen vivir évoqué notamment par Paul Ariès ?
OC 62 : Revenons sur la questions des perspectives.
L. : Un premier aspect, sur lequel insiste Jean Gadrey, c'est la mise en oeuvre d'alternatives qui articulent pleinement les considérations sociales et écologiques. Ça m'a fait penser à la complémentarité, à ce sujet, de deux journaux tels La Décroissance et Le Sarkophage. Personnellement, j'adhère complètement.
- Le deuxième point, c'est la mise au centre de la notion d'Égalité
- C'est également le refus de toute attitude sacrificielle. Pour le dire avec nos mots, la décroissance, c'est la joie de vivre. Jean Gadrey indique à ce sujet que la société post-croissance sera faite de mieux, mais aussi de beaucoup de plus. Elle est à l'opposé de la vision d'un retour au passé.
OC 62 : Et parmi les préoccupations disons traditionnelles des objecteurs de croissance ?
L. : De très nombreuses thématiques rebondissent sur nos préoccupations :
- la question de la gratuité, jusqu'à un certain seuil d'usage (eau, électricité, transports…)
- le revenu maximum, défini comme multiple d'un revenu minimum
- la sortie du capitalisme, en s'appuyant sur des alternatives qui existent d'ores et déjà, et sur les acteurs qui mettent en oeuvre ces alternatives.
Concernant justement la sortie du capitalisme, Jean Gadrey, laisse entrouverte la porte d'une réforme du système, tout en indiquant, cependant, les gros doutes qu'il a à ce sujet. Notre position d'objecteurs de croissance s'inscrit quant à elle très clairement dans la sortie du capitalisme.
Je cite pour terminer quelques lignes par lesquelles Jean Gadrey conclut le livre, et dans lesquelles nous nous retrouvons pleinement:
Vive la “biodiversité des idées”, lorsque ces idées s'opposent au conservatisme, à la jungle des marchés et au productivisme !
OC 62 : P., tu viens de terminer la lecture de Adieu à la croissance. Quelles sont tes premières réactions ?
P. : J'ai beaucoup apprécié le livre. Des remarques très pertinentes. Des interrogations. Des doutes sur la méthode pour y arriver. Ce que je partage très bien.
OC 62 : Quels points souhaites tu relever ?
P. : J'ai pour ma part deux remarques critiques. D'un côté Jean Gadrey critique, à juste titre selon moi, les partis politiques. D'un autre côté, il fait la part belle aux syndicats, en évoquant leur histoire contemporaine. Je le trouve très optimiste dans ce domaine. On a l'impression que le changement pourra se faire par ces structures. Autant je pense qu'il ne faut pas délaisser les actions dans le cadre syndical, autant je sais que tout sera fait, au niveau supérieur, pour mettre dans le rang les personnes qui ont une conception autre que collaborationniste avec le capitalisme et ses représentants.
OC 62 : Tu parlais de deux remarques…
P. : Oui. Ma seconde remarque concerne le rapport au travail. Jean Gadrey semble avoir la même analyse que Didier Harpagès. Le fait qu'il s'agisse de deux enseignants n'y est sans doute pas étranger. Jean Gadrey pense que le travail est socialisant, qu'il est obligatoirement porteur de valeur humaniste. Je ne nie pas ce coté éventuel, mais je pense qu'on peut avoir une autre vision. Celle de Baptiste Mylondo dans son livre Un revenu pour tous me parait plus intéressante dans la mesure où il ne nie pas une certaine valeur dans la notion du travail mais où il montre que l'on peut vivre d'une autre façon sans passer par cette case.
OC 62 : En guise de conclusion ?
P. : Le débat reste ouvert… La conférence-débat du 13 janvier à Lens amènera sans doute d'autres questionnements.